Le journal d'une mandragore

Comme une adolescente

Quand je l’ai revue, elle m’a tout de suite donnée l’impression d’être différente.

On ne s’était plus revues depuis la rupture, il y a presque dix ans maintenant. Autant dire que ça faisait un sacré bout de temps. En presque dix ans il s’en passe des choses. Moi j’avais déjà eu le temps de faire le tour du monde une ou deux fois et remplir ma tête de la poésie des visages rencontrés. Elle n’avait eu que le temps de se marier et divorcer, sans jamais quitter sa ville natale. Nos rêves d’antan étaient bien loin.

En me voyant, elle me prit dans ses bras. Elle me dit que je n’avais pas changé. Que j’avais toujours dix-sept ans.

Malheureusement je ne pouvais pas en dire d’elle. A peine d’un an mon aînée elle semblait avoir pris des dizaines d’années d’un coup. Son visage était creusé par la fatigue et laissait transparaître l’aigreur des années perdues à se battre contre le vide et la solitude d’une vie résignée. Pourtant d’habitude c’était plutôt moi que la solitude pourchassait.

Tout ce qu’elle me disait était sérieux, empreint de gravité et de lourdeur. Je ne pouvais pas la reconnaître, mais en même temps je n’étais pas si étonnée de la voir comme cela, c’était au final plutôt prévisible. Mais ça ne diminuait pas pour autant le choc de voir quelqu’un que j’ai aimé si longtemps, si fortement, une fille qui était si pleine de vie, être devenue une telle montagne d’aigreur et de résignation.

Tandis que je lui racontais ce qu’il se passait dans ma vie maintenant, elle sourait. Quand j’eut terminé, elle me dit simplement « Tu es toujours comme une adolescente, tu ne te soucie pas de ta vie, de l’avenir, tu es toujours immature ». Dit avec un tel ton de reproche, j’accusa le choc, avala ma salive et m’abstint de répondre.

Celle que j’avais aimée avait disparue, étouffée par cette femme perdue, triste et aigrie de ne savoir sortir de chez elle pour voir le monde.

Je suis comme une adolescente, oui. Et alors ? Je préfère être adolescente par mes idées et ma vie libre, qu’être vieille par ma résignation et ma peur des autres.